surgeetambula Marc KOLANI

Introduction générale

Thème : Le droit du travailleur à la juste rémunération et ses fondements: quelles perspectives

 pour le patronat chrétien catholique du Togo?

Introduction générale

Dans l’organisation socio-économique bien hiérarchisée qui est celle du monde du travail, se remarque le contraste de la coexistence entre solidarité et concurrences. Cet état de choses conduit à la question suivante : le travail unit-il ou divise-t-il ? En effet, selon leurs situations, d’une manière ou d’une autre, les travailleurs et les chômeurs, les producteurs et les transformateurs, les employeurs et les employés, le patronat et les syndicats, loin de se dire satisfaits, loin de s’entendre, parlent, se disputent, se plaignent ou déplorent les soucis que draine le monde du travail. Les thèmes si mitigés qui les unissent pour en fin de compte les diviser portent bien souvent sur le manque ou l’excès de travail, la mauvaise rémunération, les maltraitances, les insatisfactions et bien d’autres problèmes du genre. Malheureusement, ce sont les travailleurs qui en sortent le plus souvent perdants. Cette conjoncture s’observe fréquemment chez nous au Togo et même dans les milieux chrétiens catholiques.

En effet, dans beaucoup de secteurs de travail de notre pays, la situation des employés est la plupart du temps alarmante. L’histoire des grèves au cours de ces trois dernières années en est fort évocatrice. D’abord le corps soignant des médecins, des infirmiers, des pharmaciens et même les chirurgiens ont suspendu plusieurs fois leurs prestations par des grèves ; ensuite ce fut les enseignants ; et enfin, plus récemment, c’est la "Synergie des Travailleurs du Togo" (STT) soutenue par des mouvements politiques comme le "Collectif Sauvons le Togo" (CST) [1].  Tous ces secteurs de travail réclament leurs droits et exigent notamment une rémunération équitable et juste.

Pareilles crises n’épargnent pas les institutions religieuses[2]. Ces dernières sont aussi mises au banc des accusés, et parmi elles, l’Eglise catholique. Que celle-ci soit classée dans cette catégorie peut surprendre plus d’un, car elle est détentrice d’une doctrine sociale bien élaborée qui enseigne et soutient la cause de la justice sociale en général et de la juste rémunération en particulier. En effet, il y a maintenant plus d’un siècle de cela, depuis l’encyclique sociale du pape Léon XIII, l’Eglise s’est engagée à fond pour la défense des salariés[3]. Bien plus tard, le pape Jean Paul II, dans sa lumineuse encyclique Laborem Exercens de 1981, revint sur la question pour l’actualiser par rapport à notre époque. Dans cette encyclique, il ressort clairement que « Le rapport entre employeur et travailleur se résout sur la base du salaire, c’est-à-dire par la juste rémunération du travail accompli »[4].

La juste rémunération est un droit pour le travailleur et beaucoup la reconnaissent aujourd’hui comme tel même si en pratique elle est loin d’être effective. Se pose alors un problème, celui, éternel, de la dichotomie entre le discours théorique et son référent pratique.

De ce déséquilibre entre théorie et pratique, il surgit plusieurs questions telles : pourquoi ce droit est-il de fait nié ou refusé aux travailleurs ? Est-ce parce que les employeurs ne le connaissent pas bien? Ou peut-être sont-ils dans l’impossibilité matérielle et financière d’honorer leur engagement ; ce qui dans ce cas poserait un autre problème à savoir celui de la production, des bénéfices ou du déficit de l’entreprise.  C’est tout ce questionnement qui nous mobilise dans ce présent sujet de réflexion que nous avons formulé comme suit : Le droit à la juste rémunération du travailleur et ses fondements. Quelles perspectives pour le patronat chrétien catholique au Togo ?

En posant notre sujet ainsi, nous voulons chercher ce qui fait le socle, le substrat de ce droit à la juste rémunération. En d’autres termes, nous chercherons ce sur quoi un tel droit prend racine pour se légitimer.

En effet, connaître ses droits ou ses devoirs, n’est pas de facto une garantie pour en jouir ni pour les assumer ; il y a beaucoup d’autres paramètres qui s’interposent, surtout dans le monde très complexe et systémique du travail. Voilà qui nous obligera à aller plus loin que la simple phénoménologie observée autour de notre question, celle du droit à la juste rémunération, pour en atteindre les fondements afin de donner des réponses à nos interrogations.

Le Magistère de l’Eglise catholique enseigne, à cet effet :

« Le travail est un droit  fondamental, si bien qu’une société dans laquelle le droit au travail est déprécié ou systématiquement nié et où les mesures de politique économique ne permettent pas aux travailleurs d’atteindre des niveaux d’emploi satisfaisants, ne peut ni obtenir sa légitimation éthique ni assurer la paix sociale ».[5]

Ainsi, le droit au travail fait partie intégrante des droits de l’homme. Or, nous le savons, selon la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, les droits de l’homme sont, par principe, universels, égaux pour tous et immuables. Monseigneur Jacques LONGA, évêque de Kara au Togo, soutient, à la suite du Concile du Vatican II, que le fondement principal des droits de l’homme n’est autre chose que la personne humaine.  Pour lui en effet, la personne humaine demeure le principe, le sujet et la fin du droit[6]. Nous partageons ce principe qui est l’un des fondements du droit à la juste rémunération. Pour appuyer nos propositions au patronat chrétien catholique togolais, d’autres arguments comme la transcendance de la dignité de la personne humaine et les exigences de la vie humaine liées au fait que l’homme est un être perfectible viendront enrichir notre développement.

De fait, la crise des salaires au Togo est un fait qui mérite d’être élucidé, un fait auquel il faut trouver des approches de solution. Ce travail se veut une modeste contribution de cette recherche de solutions.

En effet, vu que les droits du travailleur sont bafoués et que celui-ci se résigne, impuissant devant le statu quo de sa situation, et incapable de se prononcer sur la justesse des arguments pouvant militer en sa faveur, nous voudrions que ces pages servent particulièrement à lui redonner son droit. Nous escomptons aussi qu’elles fassent prendre conscience au patronat, surtout catholique, du comportement blâmable, contraire au droit, qu’il commet à l’égard du salarié lorsqu’il le rémunère en deçà de la valeur du travail accompli. Nous voulons également montrer aux employeurs que la mauvaise rémunération est une infraction non seulement au droit du travailleur, mais aussi au droit naturel, et nous essayerons de le démontrer. 

En prenant cette initiative de réfléchir sur la question du droit à la juste rémunération, nous nous sommes aperçu que plusieurs l’ont déjà abordée. Cependant, nous persistons dans notre choix non avec la prétention de dire quelque chose de purement nouveau mais, comme pour confirmer la pensée de saint Vincent de LERINS[7], en parler différemment. Le simple constat que le problème de rémunération dure et même perdure, nous y invite fortement. Aussi voulons-nous nous appuyer sur ce qui est déjà fait pour donner une base à notre travail.

Pour le faire, nous articulerons notre démarche autour de trois chapitres. Dans le premier chapitre intitulé : phénoménologie de la juste rémunération et du patronat chrétien catholique au Togo, nous jetterons un regard panoramique sur les droits du travailleur dans leur ensemble d’une part et démontrerons ce qui fait la particularité du droit à la juste rémunération d’autre part.

Cette étape franchie, nous nous pencherons, dans un deuxième chapitre, sur les fondements et les sources du droit à la juste rémunération. A ce niveau, nous procéderons en trois étapes : d’abord, nous ferons une investigation biblico-théologique ; ensuite, nous chercherons les fondements anthropologiques et philosophiques ; et enfin, viendront les fondements éthico-sociaux et juridiques.

Le troisième chapitre sera pour nous l’occasion de faire des propositions pour une meilleure gestion du droit à la juste rémunération dans le monde chrétien catholique du travail au Togo. Ici, nous partirons de ce que chacune des parties – les employeurs et les employés, le patronat et les syndicats – doit faire pour qu’il y ait plus d’humanité dans le monde du travail et que le droit y soit respecté. Ensuite nous relèverons ce qui peut constituer la part de l’Eglise dans cette lutte en faveur des travailleurs. Enfin, nous proposerons une éthique de relation en vue du respect du droit à la juste rémunération dans le monde chrétien catholique du travail au Togo.



[1] Il s’agit d’une coalition des forces du changement qui lutte pour l’instauration de la démocratie et le respect des droits de l’homme au Togo. Le CST a été lancé officiellement à Lomé le mercredi, 04 avril 2012. Et depuis lors, il s’est donné la tâche d’intervenir pour dénoncer et réclamer en faveur des droits de l’homme.

[2] Ici, nous faisons directement allusion aux écoles confessionnelles à savoir les écoles catholiques, protestantes et islamiques du Togo. On s’en souvient, la dernière grève des enseignants de ces établissements scolaires date du 12 au 23 mars 2012.

[3] Il s’agit de l’Encyclique Rerum novarum. Rendue publique le 15 mai 1891. Elle était la réponse de l’Eglise aux problèmes posés par la cassure en deux de la société entre les prolétaires – ceux qui n’ont que leur force de travail – et les propriétaires d’usines que les théories socialistes accusaient d’exploiteurs des masses laborieuses. La loi d’airain du salaire – le fait que l’ouvrier accepte des conditions inhumaines de travail ou un salaire dérisoire parce que contraint par la nécessité ou poussé par la crainte d’un mal plus grand ; ce peut être aussi parce qu’ils lui sont imposés par l’employeur ou parce qu’il n’a pu trouver mieux ailleurs –  y est également abhorrée parce qu’elle fait subir à l’employé une violence contre laquelle la justice proteste.

[4] Jean Paul II, Lettre encyclique Laborem exercens, n° 19.

[5] Conseil pontifical "Justice et Paix", Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise, éd. Saint-Augustin Afrique, Lomé, 2009, p. 181.

[6] Jacques Danka LONGA, Le droit et le devoir à l’objection de conscience dans l’Encyclique Evangelium vitae, Dissertatio ad Doctoratum in Facultate Iuris Canonici, Rome, 2001, p. 55.

[7] - Saint Vincent de LERINS, in Commonitorium, éd. Soleil Levant, Namur, 1959, (22, 67). L’auteur dit, en effet : « Nous dirons les choses d’une manière nouvelle, mais nous ne dirons pas des nouvelles choses ».



18/10/2012
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