surgeetambula Marc KOLANI

LETTRE A DIOGNETE; §§ 7 à 9; analyse et commentaire

INTRODUCTION

Dans le cadre de l’enseignement académique classique, lorsque l’on évoque le terme apologie, il est presque impossible à l’étudiant de ne pas penser tout de suite à la fameuse œuvre de Platon nommée « Apologie de Socrate ». Dans le cadre du Christianisme, le mot renvoie les esprits à « L’Apologie de Justin ». Mais il y a beaucoup d’autres apologues et d’apologies sur lesquels peu sont informés. C’est le cas de « l’Epître à Diognète », une lettre anonyme adressée à un païen de haut rang. Dans ce travail, notre devoir est de faire l’étude de paragraphes 7 à 9 de cette œuvre apologétique. Il s’agira de situer le texte dans son contexte historique, de l’analyser et d’en faire le commentaire.

I-                 SITUATION DU TEXTE[1]

Cet extrait de texte soumis à notre réflexion est une partie de la Lettre à Diognète. Il s’agit d’une lettre anonyme répondant à un païen appelé Diognète sur un questionnaire relatif à la vie des chrétiens et à leur religion. En effet, Diognète a demandé d’être éclairé sur trois questions : d’abord sur l’origine du Christianisme ; ensuite, sur le caractère particulier et l’efficacité de cette religion ; enfin, sur la raison de son avènement tardif parmi les hommes[2].

1.1-       L’auteur

Longtemps, la lettre à Diognète avait été attribuée à saint Justin, le philosophe martyr. Mais,
de fait, sans parler de la différence de style qui est fort sensible, le saisissant contraste des idées de l’auteur de notre Epître avec les idées de Justin ne permet pas de les confondre ensemble. C’est pourquoi l’opinion qui voyait dans la Lettre à Diognète l’œuvre de saint Justin, est aujourd’hui abandonnée. Mais, sur le nom du véritable auteur, il n’y a nul accord entre les critiques, et nulle chance d’accord. Ainsi, certains l’attribuent au philosophe gnostique Marcion ; d’autres, la renvoient au philosophe chrétien Aristide ; d’autres encore font l’analogie entre notre épître et l’ouvrage un philosophe athénien. Finalement, il n’y a point d’unanimité sur la question.

1.2-Destinataire.
Pas plus que le nom de l’auteur, celui du destinataire de la Lettre n’est encore découvert, et ne le sera probablement pas. Il se peut que le destinataire soit, comme certains l’ont pensé, le philosophe stoïcien Diognète, précepteur de Marc-Aurèle ; ce peut être aussi l’empereur Adrien à qui l’auteur aurait donné le titre d’honneur de Diognète. Mais rien de plus que des peut-être.

1.3-  Date : entre l'an 150 et l'an 200 après JC.

Sans conteste, on s’accorde à dire, aujourd’hui que l’auteur a vécu dans le IIe ou le IIIe siècle. Mais, dans ces limites, faute de critères extrinsèques et décisifs, il y a toujours divergence d’opinions. Ainsi, d’après M. Harnack, notre Epître daterait du IIIe siècle, peut-être de la fin du IIe. M. Kihn, quant à lui, faitre monter la Lettre aux environs de l’an 230. Selon M. Bardenhewer, c’est bien également un travail du IIe siècle que dénotent la " nouveauté " du christianisme et la description de la vie des chrétiens entre les violences des païens et la haine perfide des Juifs.

 

II-              ANALYSE DU TEXTE

Le texte concerne les paragraphes VII, VIII et IX de la fameuse Lettre à Diognète. Cet extrait peut être subdivisé en deux parties significatives : le Christianisme comme révélation (§VII) et le pourquoi de l’avènement tardif du Christianisme (§VIII, 7-IX). Ces thèmes sont reliés par un petit paragraphe qui traite de l’impuissance de la philosophie (§VIII, 1-6).

2.1- Contenu du texte.

Sans trop de détours, l’auteur  déclare que le Christianisme est d’origine divine, car, c’est Dieu lui-même qui a député son Fils vers les hommes pour les sauver. Et la mort héroïque des martyrs ainsi que la rapide propagation du christianisme attestent une telle puissance surnaturelle et la présence du Fils de Dieu parmi nous[3]. Quant à savoir pourquoi Dieu a différé si longtemps notre Rédemption, l’auteur répond que c’est parce qu’il voulait nous faire sentir notre profonde misère et le besoin indispensable que nous avons de son secours.[4]

2.2- Le Christianisme comme Révélation :

Pour prouver à son ami Diognète que le Christianisme est une Révélation, l’auteur pose pour fondement de son argument la venue du Verbe de Dieu dans le monde. Il dit en effet, « leur tradition n’a pas une origine terrestre… mais c’est Dieu lui-même qui, l’envoyant du haut des cieux, a établi chez les hommes la Vérité, le Verbe saint et incompréhensible, et l’a affermi dans leurs cœurs ». Le Verbe en question n’est pas un simple envoyé de Dieu, mais le Fils de Dieu par qui le Père a tout créé. Il est venu non pour juger l’humanité, mais par amour pour les hommes. Aussi reviendra-t-il dans sa gloire et cette fois, ce sera pour le jugement. Une des preuves que le Christianisme n’est pas une invention humaine est que les chrétiens se donnent en martyrs pour témoigner de leur foi. Une autre preuve consiste en ceci que malgré les persécutions, le Christianisme se propage et ce, rapidement. Ce sont là « les effets de la puissance de Dieu, la preuve manifeste de son avènement ».

2.3- Les limites de la philosophie :

Pour s’attaquer aux philosophes, l’auteur soutient que cette manifestation du Fils de Dieu est une première dans l’histoire de l’humanité. En effet, c’est la venue du Fils qui a révélé ce qu’est Dieu à l’humanité. En effet, avant son avènement, personne n’a su parler objectivement de Dieu. Personne, pas même les philosophes qui prétendent répondre aux questions existentielles, qui prétendent être à même de donner l’origine de tout ce qui existe. Ainsi, s’insurgeant contre les présocratiques qui ont indûment attribué l’origine de l’univers à des créatures[5], il déclare : « si l’une de ces doctrines était recevable, chacune des autres créatures pourrait au même titre être proclamée Dieu ». Mais pour que l’homme connaisse Dieu, il a fallu que ce dernier se manifeste dans la foi. A la foi seule, en effet, est donné le privilège de voir Dieu.

2.4- Ce qui justifie l’avènement tardif du Christianisme :

Si le Christianisme est la seule religion à laquelle l’homme doit donner sa foi, alors, pourquoi sa révélation est advenue si tardivement ? Telle est la question qu’aborde la deuxième partie de notre texte. L’économie du salut avait été préparée dès l’origine. Pour sa réalisation Dieu a procédé par un double moyen : il a d’abord convaincu à la nature humaine de son impuissance à obtenir la vie ; c’est après cela qu’il nous a montré le Sauveur qui a la puissance de sauver ce qui ne pouvait l’être. Ce dessein d’amour inouï qui s’est accompli par étapes n’avait été communiqué qu’au Fils. En effet, longtemps, Dieu s’est montré pour les hommes plein d’amour et de patience malgré leurs inconduites. Aujourd’hui, alors que nos péchés se sont multipliés, alors même que nous ne nous attendions pas, il nous a offert de bénéficier de son œuvre d’amour. Et pour accomplir en tout, la volonté de celui qui l’a envoyé, pour remplir parfaitement sa mission, le Fils a accepté assumer lui-même nos propres péchés. Devant ce grandiose mystère, l’auteur n’a pu s’empêcher de s’exclamer : « O doux échange, opération impénétrable, ô bienfaits inattendus ».

En conclusion partielle, disons que ce texte, avec la simplicité et la précision de son style, la netteté de son exposition, sa méthode dans la structure du discours et l’arrangement des matières, se rattache visiblement au genre apologétique. En effet, des croyances et des mœurs des chrétiens l’auteur fait ressortir l’origine divine du christianisme. L’intention apologétique en est donc l’essentiel. Mais il ne fait aucun recours aux miracles, sauf toutefois celui de la transformation des mœurs par la vraie religion et celui de la constance des martyrs ; il ne recourt pas aux prophéties non plus.

 

III-          COMMENTAIRE

Pour commenter ce texte, nous nous donnons pour devoir d’une part d’approfondir la réflexion en nous penchant sur deux pensées chères à l’auteur de la lettre. D’autre part, nous jetterons un regard critique sur la position de l’auteur sur certains points.

3.1-       Pour approfondir la réflexion

3.1.1- Nécessité de la foi pour connaître Dieu :

Ce titre se démarque d'une conception populaire qui identifie foi et croyance et les opposent à la connaissance. Ici, la connaissance de Dieu est tributaire de la foi. Or, nous savons que la foi fait référence à « croire » qui est un des moyens de connaître légitimement et/ou raisonnablement. De même, c’est reconnu qu’il y a différentes manières de connaître. Ainsi, il est des choses que nous voyons et que nous percevons par nos sens ; il est des vérités qui sont évidentes à notre esprit ou qui le deviennent par un raisonnement. Mais, il y en a qui nous sont transmises par le témoignage, qui nous sont affirmées par des personnes dignes de foi. Nous les admettons aussi et c’est raisonnable. Nous faisons chaque jour beaucoup d’actes de foi à nos semblables. Or, l’histoire nous enseigne que Dieu a parlé à l’humanité. Il a parlé maintes fois par les prophètes. Il a parlé surtout par Jésus Christ, son Fils. Dieu ayant parlé, les hommes ont le devoir de croire à sa Parole. Dans la vie humaine, on ajoute foi aux affirmations d’un homme sage et prudent. Or, « si nous recevons le témoignage des hommes, dit saint Jean, le témoignage de Dieu est plus grand »[6].

3.1.2- La Révélation et le mystère de la Rédemption :

La Révélation divine a commencé avec Adam et Ève, nos premiers parents. Lorsqu’ils désobéirent à Dieu, celui-ci leur promit une Rédemption. La Révélation divine s’est poursuivie par l’assistance divine accordée à l’humanité. Elle a pris forme avec Abraham que Dieu destina à devenir le père d’une race élue, porteuse des promesses devines. Elle fut continuée, précisément par Moïse et les prophètes qui furent les porte-parole du Seigneur, en vue de la formation du peuple de Dieu, qui préfigure et prépare la venue du Sauveur. Lorsque les temps furent accomplis, Dieu envoya son Fils, le Verbe Eternel, pour qu’il demeure parmi les hommes et leur fasse connaître les secrets de Dieu (Jn1, 1-9). Notre Seigneur achève en la complétant, la Révélation. Il la confirme en attestant divinement que Dieu Lui-même est avec nous, pour nous arracher aux ténèbres du péché et de la mort, et nous ressusciter avec Lui. En un mot, la profondeur de vérité que la Révélation manifestée, sur Dieu et sur le salut de l’homme, resplendit pour nous dans le Christ, qui est à la fois le Médiateur et la Plénitude de toute la Révélation.

 

3.2-       Apports critiques

3.2.1- Le problème du géocentrisme[7]

Dans le paragraphe VII, l’auteur a fait des affirmations qui, sinon soutient le géocentrisme, du moins frisent cette théorie. Le géocentrisme est dépassé de nos jours car il a été battu en brèche par les découvertes de la science et surtout de l’astronomie. L’histoire nous enseigne à cet effet qu’à la suite de la publication en 1632 du Dialogue sur les deux grands systèmes du monde, Galilée fut convoqué par l’Inquisition romaine pour répondre à une accusation d’hérésie. Soumis à la censure depuis 1616, Galilée se fut vu ordonner de ne pas discuter du système héliocentrique défini par Copernic. Comme son Dialogue en reprenait la démonstration, il fut contraint d’abjurer et son ouvrage fut mis à l’Index. En 1728, après la démonstration indiscutable d’un astronome anglais de l’existence de l’héliocentrisme par l’étude des éclipses de lune, l’Église retira le Dialogue de l’Index.

3.2.2- La non-évocation de l’Esprit Saint :

Durant tout le texte, l’auteur fait référence à Dieu (Père) et à son Fils, le Verbe Eternel. Aucune allusion n’est faite à l’intervention de l’Esprit Saint dans le mystère de la Rédemption. Est-ce à dire que l’auteur ne lui reconnaît aucun rôle ? Est-ce parce qu’il renie la Sainte Trinité ? Que ce soit par prudence[8] ou par négation, aujourd’hui, et ce depuis le deuxième concile de Constantinople en 381, la foi de l’Eglise est claire. Elle professe sa foi en un Dieu Un et trine : Père, Fils et Esprit Saint. Dans la formule du Credo de Nicée-Constantinople, nous professons, en effet : « je crois en l’Esprit Saint qui est Seigneur et qui donne la vie ; Il procède du Père et du Fils ; avec le Père et le Fils, Il reçoit même adoration et même gloire ; Il a parlé par les prophètes ». A part cela, la Vierge Marie qui a donné à Jésus son corps physique a conçu sous l’action du Saint Esprit. Et c’est lorsque le même Esprit Saint descendit sur le Christ pendant sa prière que le Christ fut poussé à commencer son ministère[9]. De même, le Christ Lui-même, avant de quitter ce monde avait promis envoyer l’Esprit Saint. Et, c’est à la Pentecôte que commença de façon nette l’Evangélisation des Apôtres. Vu ces arguments parmi tant d’autres qui parlent en faveur de l’intervention du Saint Esprit dans l’économie du salut, nous en arrivons à la conclusion que l’auteur de la Lettre à Diognète n’avait aucune excuse pour ne pas évoquer l’Esprit Saint dans ce texte apologétique.

 

CONCLUSION

L’épître à Diognète est une œuvre apologétique qui, tout en expliquant à son destinataire le mode de vie des chrétiens, vise à le persuader à embrasser la foi chrétienne. Elle est une source inépuisable de richesses et d’enseignements sur le christianisme. Ainsi, elle fait une synthèse  doctrinale de ce qui fait la spécificité du christianisme et les raisons de son avènement tardif. L’auteur de cette lettre peut aujourd’hui nous servir de modèle à cause de sa foi combien ardente, ses connaissances étendues, son esprit pleinement imprégné des principes du christianisme, qui s’exprime avec vie et chaleur.



[1] - Pour cette partie, nous nous sommes largement inspiré de l’article de P. Godet sur le site WWW.JesusMarie.com

[2] - Cf. § I.

[3] - Cf. §§VII-VIII, 6

[4] - Cf. §VIII, 7-IX

[5]- L’auteur a donné l’exemple du feu et de l’eau. On sait que les éléments sont les principes qui, d'après la philosophie de l'Antiquité, ont formé toutes choses. Depuis les Ioniens et les Eléates, on en reconnaissait ordinairement quatre : l'eau, l'air, la terre, et le feu. Ils furent d'abord considérés séparément  (l'eau était le principe de tout pour Thalès, et c'était l'air pour Anaximène, le feu pour Héraclite, par exemple), éventuellement, on en considérait deux (ainsi, la terre et l'eau pour Xénophane de Colophon). Empédocle les considérera ensemble.

[6] - 1Jn 5 ,9

[7] - C’est une théorie ancienne qui considère que la Terre est au centre géographique de l’univers

[8] - Nous disons par prudence car à l’époque, l’Église ne s’était pas encore prononcée de façon officielle sur la question. Aussi, pouvait-il se faire traiter d’hérétique.

[9]- Lc 3, 22



26/06/2012
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