surgeetambula Marc KOLANI

PROPOSITIONS POUR UNE MEILLEURE GESTION DU DROIT A LA JUSTE REMUNERATION DANS LE MONDE DU TRAVAIL CHRETIEN CATHOLIQUE AU TOGO

CHAPITRE III : PROPOSITIONS POUR UNE MEILLEURE GESTION DU DROIT A LA JUSTE REMUNERATION DANS LE MONDE DU TRAVAIL CHRETIEN CATHOLIQUE AU TOGO

 

 

 

Les protagonistes du monde du travail chrétien catholique du Togo sont à chercher à plusieurs niveaux. D’abord, il s’agit des employés[1] de tout genre qui servent dans les différents secteurs et institutions ecclésiaux : les enseignants, les agents de santé, les cuisiniers, les blanchisseurs, les gardiens, les chauffeurs, les bibliothécaires, les jardiniers, les femmes ou hommes de ménage, les coursiers. Ensuite, cela concerne les employeurs : les diocèses, les paroisses, les presbytères et les  communautés religieuses. Enfin, ceux dont le droit de juridiction contraint aussi bien les premiers que les seconds : l’Etat et l’Eglise. Pour que les employés jouissent pleinement de leur droit à la juste rémunération, une première condition est que toutes les parties prenantes travaillent en collaboration et se sachent complémentaires. La deuxième condition porte sur l’exigence du respect des devoirs de chacun. La troisième relève de l’ordre de la connaissance, connaissance relative au contrat du travail, à la manière et au contenu d’une rémunération juste. Essayons d’expliquer tour à tour ces différentes conditions tenant lieu de propositions de notre part en vue de remédier au problème de la juste rémunération.

III.1- Le concours des différents protagonistes en vue de la résolution de la question de la juste rémunération.

La question de la juste rémunération est une  partie de la question sociale. A ce titre, elle intéresse les diverses parties de la société et demande à chacune sa contribution. Et c’est seulement quand chacune aura joué efficacement sa partition qu’une solution complète pourra être envisagée.

Ainsi, qu’une seule partie prétende à elle seule, sans la collaboration des autres protagonistes, pouvoir remédier au mal, c’est se faire illusion. Que pourraient toute la science économique des employeurs, leur générosité, leur charité, s’ils n’ont en face d’eux une élite de travailleurs construisant pour sa part une société nouvelle conforme au plan de Dieu ? Que feraient ces travailleurs s’ils n’avaient pas l’appui, la sympathie, les conseils éclairés de spécialistes des études sociales et économiques qui peuvent se livrer à des recherches, à des études, qu’eux employés, n’ont pas la possibilité ni les moyens de faire ? Et à quoi serviraient les travaux des institutions de juridiction si elles n’avaient pas à servir ceux et celles qui travaillent dans les sociétés et organismes? Il faut donc que chacun apporte sa contribution.

III.1.1- Les droits du travailleur marchent de pair avec ses devoirs

 

S’il est juste de réclamer ses droits, il est également juste de savoir que les autres ont les leurs à ne pas violer. Les notions de droit et de devoir s’appellent et s’interpellent de sorte que les droits des uns entraînent d’une manière ou d’une autre les devoirs des autres. Il y a donc entre droits et devoirs une exigence de réciprocité. C’est pourquoi, on ne saurait parler objectivement des droits du travailleur sans faire mention de ses devoirs. Ainsi, si le travailleur réclame ses droits, il doit de facto connaître et respecter les devoirs qui y sont liés et qui sont les siens. S’agissant donc des devoirs du travailleur, en voici quelques uns de la longue liste :

III.1.1.1- Des responsabilités d’ordre général

 

Le monde du travail ne saurait être efficacement restauré sans que les travailleurs le veuillent énergiquement et agissent en conséquence. Pour en arriver là, il leur faut devenir les artisans de leur propre bonheur, par leurs activités, leur conscience professionnelle, leur foi, leur charité fraternelle, leur sens de l’association qui leur fera consentir les sacrifices individuels nécessaires à l’intérêt commun. C’est ainsi qu’ils pourront obtenir la reconnaissance et la mise en pratique des droits dont ils rêvent. C’est en faisant cela qu’ils pourront mêmement réclamer leurs droits lorsque ces derniers viennent à être violés.  

ü  Le sort des employés est entre leurs mains. Exemple des premiers chrétiens.[2]

L’histoire enseigne que les premières communautés chrétiennes se caractérisaient par  l’indigence de leurs membres, condamnés à vivre d’aumônes ou de travail.

« Mais, dénués comme ils étaient de richesse et de puissance, ils surent se concilier la faveur des riches et la protection des puissants. On pouvait les voir diligents, laborieux, pacifiques, modèles de justice et surtout de charité. Au spectacle d’une vie si parfaite et de mœurs si pures, tous les préjugés se dissipèrent, le sarcasme se tut et les fictions d’une superstition invétérée s’évanouirent peu à peu devant la vérité chrétienne ».[3]

Le sort des travailleurs dans le monde chrétien catholique au Togo tel que décrit plus haut est une question d’actualité ; elle sera résolue par la raison ou sans elle ; elle sera résolue concomitamment avec la foi. Il ne peut être indifférent à personne qu’elle soit résolue par l’une ou l’autre voie. Or, les employés chrétiens la résoudront facilement par la raison si, unis en sociétés et conduits par une direction prudente, ils entrent  dans la voie où les premiers chrétiens trouvèrent leur salut et celui des peuples. Quelle que soit la force des préjugés et des passions, si une volonté perverse n’a pas entièrement étouffé le sentiment du juste et de l’honnête, il faudra que tôt ou tard la bienveillance  publique se tourne vers ces employés qui se dévouent nuit et jour au service des diocèses, des paroisses, des presbytères, et des communautés religieuses, qu’on aura vus actifs et ordonnés, mettant l’équité et l’honnêteté avant le gain et préférant à tout la religion du devoir.

 

 

III.1.1.2- Des devoirs spécifiques du travailleur

 

ü  Devoir d’un travail bien fait

Les anciens disaient : "Age quod agis"[4].  Voilà une règle de conduite morale qui enjoint à l’homme de bien faire ce qu’il a à faire. Cette maxime trouve pleinement sa place dans le cadre de l’emploi. Tout employeur, en effet, est toujours gêné quand il lui faut payer pour un travail mal fait. Le devoir du travail bien fait s’impose donc aux employés. Mais, qu’est-ce qu’un travail bien fait ? Un travail bien fait est un travail achevé ou accompli ; c’est celui qui répond aux critères et aux normes qui le définissent. La qualité de son exécution ne peut être jugée qu'au terme d'un processus plus ou moins laborieux, parfois long et délicat, qui nécessite souvent des temps d'attente pour que la matière transformée puisse se stabiliser et les résultats escomptés, advenir. C’est un travail exécuté  suivant les règles de l'art et de la compétence. Il n'est pas bon du premier coup, mais est devenu bon au terme d'une période d'apprentissage où le travailleur est encouragé à continuer en dépit des premiers résultats médiocres. Lorsque l’employé travaille avec l’amour du travail bien fait, son employeur n’hésitera pas à lui faire confiance et à lui accorder des primes et des promotions. « A qui est fidèle dans de petites choses, on en confiera de plus grandes », dit l’Evangile (Mt 25, 23). Aussi, ne dit-on pas qu’après avoir bien accompli son devoir, on sent une joie inexprimable ? Il est aussi clair qu’un travail mal fait se répercute sur la société ou du moins sur les bénéficiaires. Un travail mal fait est comme une bombe à retardement et un poison, car, du jour au lendemain, ses conséquences néfastes se révéleront et dans certains cas, cela peut devenir dramatique pour la société. Voilà pourquoi tout travailleur est appelé à bien accomplir son devoir. Age, quod agis !

 

 

 

ü  Respect du règlement intérieur

Toute société bien organisée a besoin d’un certain nombre de normes pour son bon fonctionnement. Ainsi, la conclusion d’un contrat de travail fait peser sur les salariés des obligations essentielles qui conditionnent sa bonne exécution. Le règlement intérieur est une de ces obligations à respecter. Par règlement intérieur, il faut entendre « un écrit fixant les conditions du travail et de la discipline dans une entreprise ; un ensemble de règles d’organisation et de fonctionnement d’une assemblée délibérante ».[5] A cette définition, le Code du travail au Togo apporte la précision suivante : « Il doit contenir les règles relatives à l’organisation technique du travail, à la discipline et aux prescriptions concernant l’hygiène, la sécurité et la santé au travail nécessaire à la bonne marche de l’entreprise ».[6] En revanche,

« Le règlement intérieur ne peut prévoir de dispositions contraires aux lois, conventions ou accords applicables à l’entreprise. Il ne doit pas non plus comporter de clauses discriminatoires, ni porter atteinte aux droits des personnes et aux libertés individuelles ou collectives ».[7]

Avant donc d’intégrer un secteur de travail, le postulant doit s’informer sur les lois qui régissent le fonctionnement du poste qu’il cherche à occuper. Ainsi, celui qui travaille dans un service est supposé en avoir accepté de prime abord le contrat et aussi la discipline qui y est liée. Respecter le règlement intérieur, c’est entre autres  être toujours ponctuel et soumis aux exigences du travail. Le non-respect du règlement intérieur peut être une source de désordre, d’inefficacité productive et de conflits entre les travailleurs. Cela peut aussi constituer une faute grave entrainant la cessation du contrat de travail.

ü  La conscience professionnelle

La conscience professionnelle, c’est le « soin que l’on apporte à l’exécution de son travail ; (c’est le fait de) mettre beaucoup de conscience dans son travail ».[8] La conscience professionnelle concerne donc la profondeur et l’étendue des connaissances, des compétences et de l’expérience nécessaire au poste. Cette qualité requiert une certaine familiarité avec les pratiques, les méthodes, les lois, les compétences professionnelles, les intervenants et la culture particulière du milieu dans lequel baigne l’organisme. La conscience professionnelle se jauge à l’aune de la façon dont on prend soin de son travail ou de l'honnêteté que l'on met dans l'exécution de son travail. Il s’agit également de la bonne gestion du matériel de travail : le terrain, les édifices, les outils, les ressources minières et humaines.

L’on doit travailler dans l’esprit d’un développement humain durable. Puisque nous héritons des biens de ceux qui nous ont précédés, et sommes, en quelque sorte,  la providence des générations à venir, nous ne saurons être solidaires de l’humanité, en utilisant le matériel du travail comme si après nous, ce serait la fin. Ce matériel doit être soigné, entretenu et même amélioré. Celui qui ne se soucie pas de l’entretien du matériel du travail a l’esprit de celui qui, assoiffé, a trouvé une source d’eau vive ; mais qui, une fois sa soit atténuée, l’a détruite et l’a fait disparaître. Demain, ni lui ni personne ne pourra plus s’y désaltérer. La loi naturelle ne blâme-t-elle pas de tels actes ? Avoir la conscience professionnelle, c’est travailler à ce que la postérité hérite d’un matériel de travail de valeur. C’est là un appel à tous les employés pour qu’ils laissent une bonne image pour les générations à venir.

Voilà brossé en peu de mots la part de responsabilité des employés. La liste des devoirs ici relevés n’est pas exhaustive. Elle nous permet tout de même d’avoir une idée globale sur la question. Du reste, tout travailleur, en accomplissant bien ses devoirs, comme décrit plus haut, devrait pouvoir jouir pleinement de ses droits, notamment, être bien rémunéré. Cela relève des devoirs des autres protagonistes.

III.1.2- La part de responsabilité des autres protagonistes

 

Ici, nous voulons mentionner ce que les employeurs, d’une part et l’Etat de l’autre, peuvent faire, dans le processus du respect effectif du droit des travailleurs à la juste rémunération, dans le monde chrétien catholique du travail au Togo.

III.1.2.1 De la part des employeurs

 

« Parmi les devoirs principaux du patron, il faut mettre au premier rang celui de donner à chacun le salaire qui convient ».[9] Cette obligation occupe la première place parce que d’une part, c’est un devoir de justice, le salaire étant l’équivalence ou le rachat de l’activité dépensée par l’ouvrier. D’autre part, comme nous l’avons mentionné dans les fondements anthropologiques de la juste rémunération (cf. chap. II), cela trouve sa justification dans le fait que le salaire correspond à un besoin de première nécessité pour l’employé.

Les devoirs des employeurs s’étendent au respect de la dignité de l’homme dans la personne de l’employé. Celui-ci n’est ni un esclave, ni un objet, il doit donc être traité comme un homme. Et pour le faire, les employeurs ne doivent pas l’estimer seulement en raison de sa force et de sa vigueur, ni lui imposer un travail au-dessus de ses forces. Ces devoirs regardent aussi le respect de la dignité du chrétien : il s’agit de tenir compte des intérêts de son âme, de lui faciliter l’accomplissement de ses devoirs de religion – observation du dimanche par exemple –, de ne pas l’exposer au vice et à la séduction. Enfin, les devoirs des employeurs entrent dans le cadre du respect de la famille de l’employé. Ce respect vise à ne rien faire qui tende à diminuer ou compromettre la vie de famille ; il vise aussi à lui accorder le repos nécessaire : repos journalier, repos hebdomadaire, dominical, afin qu’il puisse être avec sa famille. Le respect de la famille devrait aussi ménager surtout les forces de la femme[10] en vue de la conservation et de la prospérité de la famille.

Le monde du travail n’est pas celui de la gratuité ni de la charité. Par ailleurs, les employeurs chrétiens catholiques doivent comprendre qu’ils sont ceux qui tiennent entre leurs mains les conditions de réalisation du plan providentiel de Dieu pour un grand nombre de créatures. Ils répondent de la vie physique et morale de beaucoup d’employés ; elle sera ce qu’ils en feront.

Par ailleurs, il revient aux employeurs de former de leur côté des syndicats et de se rencontrer volontiers, animés d’un désir sincère de collaboration sociale, avec les délégués des syndicats des employés dans des commissions mixtes. A eux, encore et surtout, de se conformer, dans la mesure du possible, aux enseignements de l’Eglise sur l’autorité, l’usage des richesses, le salaire, le contrat de travail. Grande donc est la responsabilité des employeurs. C’est pourquoi, ils doivent en être conscients et les assumer convenablement. Car, le faire bien n’est pas simplement un devoir accompli, mais aussi un témoignage évangélique.

III.1.2.2-  De la part de l’Etat

 

« Le principal motif de l’intervention de l’Etat en faveur des employés est que ces derniers, généralement moins pourvus d’instruction et de ressources que les employeurs, sont quelques fois sans défense contre les injustices et par conséquent ont un besoin pressant d’aide et de protection ».[11] 

Il revient à l’Etat de leur donner son appui, sa protection et son encouragement. Là où les employeurs et les employés sont en droit de décider et d’agir de concert, l’Etat peut sanctionner, donner force de loi. Il peut subventionner une initiative heureuse. Comme cela se fait déjà au niveau des établissements scolaires, l’Etat peut subventionner bien des projets dans le souci de venir en aide aux employeurs qui se dévouent, mais qui n’arrivent pas toujours à se hisser à la hauteur de la juste rémunération[12].

Pour parvenir donc à une juste rémunération, il est impérieux que chacun prenne la part de responsabilité qui lui incombe, et cela sans délai, de peur qu’en différant le remède, on ne rende incurable un mal déjà si grave. Il est également impérieux que les gouvernants fassent usage de l’autorité protectrice des lois et des institutions ; il est pressant que les riches et les maîtres se rappellent leurs devoirs ; il est urgent que les ouvriers dont le sort est en jeu poursuivent leurs intérêts par des voies légitimes. Et puisque la religion seule est capable de détruire le mal dans sa racine, que tous se rappellent que la première condition à réaliser, c’est la recherche de la bonne vie et de la sainteté, sans lesquelles même les moyens suggérés seront peu aptes à produire les résultats escomptés.

Voilà donc dégagées les responsabilités des employés, des employeurs et de l’Etat. Qu’en est-il de celles de l’Eglise ? Quelle peut être sa part de responsabilité dans l’effort de mettre en pratique le respect du droit du travailleur à la juste rémunération ?

III.2- La part spécifique de l’Eglise catholique au Togo

Si l’Eglise a des défis à relever dans la recherche des voies et moyens pour résoudre le problème de la juste rémunération dans le monde chrétien catholique du travail au Togo, il faut reconnaître qu’elle a aussi des mérites qu’il serait injuste d’ignorer.

III.2.1- Les mérites de l’Eglise

 

« De nos jours, l’Eglise est attaquée par le biais de ses institutions sociales »[13] pour les défaillances enregistrées çà et là dans la gestion de son personnel. Et pourtant, au Togo, cette même Eglise est toujours activement présente dans le domaine social où elle occupe une place importante. Pour ne rester que dans le domaine précis du travail, il faut noter que l’Eglise catholique au Togo joue un rôle jusqu’ici irremplaçable en matière de création d’emplois. Qu’il suffise de mentionner les écoles de tous les niveaux et de toutes sortes – primaires, secondaires, universitaires, d’apprentissage et agricoles – que l’Eglise catholique du Togo a fondées, les centres de santé, de formation agricole, les orphelinats, des centres culturels que l’Eglise catholique au Togo a fondés et gère donnant ainsi du travail aux Togolais. En effet, comme les « ouvriers de la onzième heure » (Mt. 20, 1-16), beaucoup de Togolais attendent sur les places publiques ; ils y passent des journées entières à tourner le pouce, à jouer au ludo ou aux cartes. Ils espèrent être embauchés, ne serait-ce que pour se rendre utiles à la société. Mais personne ne les engage. Le plus souvent, et c’est là l’un des mérite de l’Eglise, c’est au rang de ces jeunes hommes et jeunes femmes oisifs que le patronat chrétien catholique du Togo recrute beaucoup de ses employés. Pour ainsi dire, le patronat catholique du Togo tire beaucoup de Togolais de l’oisiveté et leur permet de se rendre utiles à la société, moyennant une rémunération qui, pour les raisons que nous avons mentionnées plus haut, n’est pas toujours équitable. Ce faisant, l’Eglise aide à juguler un tant soit peu le problème du chômage qui, pour reprendre le mot du pape Jean Paul II, « est un problème particulièrement douloureux lorsque sont frappés principalement le jeunes ».[14] Par ailleurs, ce patronat engage parfois des gens qui n’ont aucune formation professionnelle et les forme lui-même sur le tas. C’est le cas de certains enseignants et agents de santé. Enfin l’enseignement des Evêques du Togo a fait de la question de la juste rémunération un de ses soucis. Ainsi, on peut lire dans l’un de leur message au peuple togolais ce qui suit : « tout travail a droit à une juste rémunération ».[15] Toutefois, le patronat catholique du Togo est loin de compte, car les polémiques se poursuivent ; elles connaissent même une escalade en ces dernières années, parce que beaucoup de défis restent encore à relever.

III.2.2- Les défis à relever

 

L’Eglise catholique au Togo, au-delà de son rôle prééminent qui est celui de rendre témoignage à la vérité, d’être sacrement du salut, le soutien et le guide de l’homme dans sa quête du Royaume, féconde les œuvres à travers les actions sociales qu’elle accomplit. Aussi, est-elle ici convoquée en sa qualité de sujet de la loi, sujet pris en son double sens de celui qui définit les lois et qui les assume. A ce titre, elle doit répondre à l’attente des travailleurs et des employés à travers deux principales instances : la Conférence des Evêques du Togo (CET), et chacun des évêques diocésains en leur qualité de pasteurs propres. Ces deux instances ont droit de décision dans le monde chrétien catholique du Togo. Pour le faire, elles doivent agir tant par l’enseignement que par le témoignage de vie.

III.2.2.1- Dans le rôle de l’Eglise d’enseigner

 

Les évêques sont censés donner les directives pour éclairer le clergé et le peuple sur toutes les questions et donc, sur celle du travail et de la juste rémunération. Ainsi, à travers des messages ou des déclarations ou encore des lettres, ils décident de ce qui doit être tenu et suivi au sein du peuple de Dieu. On s’aperçoit malheureusement que cette autorité ecclésiale n’a pas encore fait du thème de la juste rémunération un sujet explicite de ses messages. En effet, lorsque nous avons scruté le contenu des lettres et messages de la CET depuis 1958 jusqu’à nous jours, nous nous sommes rendu compte d’une part, que nos Pères évêques ont fait des problèmes sociopolitiques et économiques du Togo le grand lot de leurs soucis pastoraux. D’autre part, ils ont fait cas de la juste rémunération dans leur lettre de 1967, en la reliant à la question de la conscience professionnelle[16]. Mais, la Conférence des Evêques du Togo n’a pas encore consacré aucun de ses messages à la juste rémunération de manière spécifique et explicite. Pourtant, vu les conflits qui s’accumulent entre travailleurs et employeurs, il urge que la CET adresse un message conséquent sur la question de la juste rémunération au Togolais en général et au le monde chrétien catholique du travail en particulier.

Les évêques du Togo ne devraient-ils pas prendre en modèle le pape Benoît XV qui, sur la question sociale avait adressé une lettre à l’Evêque de Bergame le 11 mars 1920 ? Ne devraient-ils pas s’en inspirer pour le patronat catholique? En effet, dans cette lettre dite Lettre à l’Evêque de Bergame[17], le Pape insistait sur l’action sociale des prêtres.  Pour lui, le rôle des ministres sacrés est de taille : il leur revient de déployer toutes les forces de leur âme et tout leur zèle, et que, sous l’autorité de leurs paroles et de leurs exemples, ils inculquent aux hommes de toutes les conditions les règles évangéliques de la vie chrétienne ; ils doivent travailler de tout leur pouvoir au salut des peuples, et par-dessus tout, s’appliquer à nourrir en eux-mêmes et faire naître dans les autres, depuis les plus élevés jusqu’aux plus humbles, la charité, reine et maîtresse de toutes les vertus. Il leur revient, en tant que promoteurs des droits de l’homme, et celui du travailleur notamment, en tant que défenseurs des faibles et la voix des sans-voix, de faire régner la justice et la paix dans le monde chrétien catholique du travail au Togo, comme le veut l’enseignement de la doctrine sociale de l’Eglise.

III.2.2.2- Dans le statut de l’Eglise d’être un modèle

 

« Le bienheureux apôtre Paul, traçant le portrait idéal d’un futur évêque, créant véritablement par ses directives un office nouveau pour l’Eglise, a enseigné en ces termes ce qui est comme le résumé des vertus rassemblées en cet homme : "qu’il ait toujours une parole conforme à l’enseignement de la foi, afin d’être capable d’exhorter selon la saine doctrine et de confondre les contradicteurs". Car on ne fait pas d’un coup un prêtre bon et utile …puisqu’un honnête homme ne fait profit que pour lui-même s’il n’est pas savant et un savant manque d’autorité dans son enseignement s’il n’est pas honnête ».[18]

A en croire la pensée de saint Hilaire, c’est dans le témoignage de la foi que la vie du clergé et par extension, celle du clergé tout entier, devient un signe visible de la présence du Christ dans les communautés chrétiennes. Ainsi,

« L’autorité juridique est appuyée par l’autorité morale. (Et) toutes les deux sont nécessaires. De la première, en effet, découle l’exigence objective de l’adhésion des fidèles à l’enseignement authentique de l’Evêque ; la seconde les aide à placer leur confiance dans le message ».[19]

Par ailleurs, saint Paul, dans sa Lettre à Tite a indiqué la conduite à suivre pour être un vrai témoin de la foi : «  Toi-même, sois un modèle dans ta façon de bien agir : par le sérieux et la pureté de ton enseignement, par la solidité inattaquable de ta parole, pour la plus grande confusion de l’adversaire qui ne trouvera aucune critique à faire sur nous » (Tt 2, 7-8).  Dans le contexte précis de la condition des travailleurs par rapport à la juste rémunération, il convient de dire qu’il revient aux institutions ecclésiales de donner le bon exemple aux autres, en rémunérant ceux qu’elles emploient et en les traitant conformément à l’enseignement de l’Eglise. C’est ainsi que s’établira l’adéquation entre le dire et le faire, entre l’esprit et la pratique. Et c’est en cela que l’Eglise peut être un modèle au sein du patronat togolais, dans sa globalité.

III.2.2.3- L’engagement personnel des prêtres et des religieux (ses) employeurs.

 

Lorsque, dans le premier chapitre, nous traitions des raisons de la mauvaise rémunération dans le monde chrétien catholique du travail, nous avions relevé entre autres, celle liée aux moyens limités des employeurs. Cet état de chose amène les prêtres et les religieux (ses) à faire la politique de leurs moyens dans la manière de rémunérer qui se trouve être parfois en deçà de ce qu’exige la loi. Ils le font certainement non pas par manque de volonté, mais, comme dit plus haut, à cause de leurs moyens limités. Toutefois, d’autres moyens existent qui ne conduisent pas à enfreindre la loi. Faire la politique de ses moyens, c’est aussi prendre des dispositions pour ne pas être obligé d’avoir plusieurs employés à leur service. Cela appelle le devoir d’être modéré dans l’embauche. Ce devoir en appelle un autre, celui de s’engager à faire soi-même certains petits travaux sans attendre une prestation extérieure. Bien des travaux liés à des employés particuliers pourraient être faits par les prêtres et les religieux (ses) eux-mêmes : le ménage dans les chambres, la vaisselle, lavage des engins de déplacement par exemple. Il leur revient donc de s’impliquer à amortir les dépenses en travaillant eux-mêmes. Par ailleurs, pour les travaux qui demandent nécessairement des employés, au lieu de les engager à plein temps, on pourrait les embaucher à temps partiel. Un cuisinier, par exemple, pourrait occuper une demie journée et apprêter aussi bien le déjeuner que le dîner, quitte aux bénéficiaires d’assumer le reste.  Ainsi, le cuisinier sera payé en fonction des heures de travail ; ceci permettra à l’employé de vaquer à d’autres activités régénératrices de revenus et donnera le sentiment à l’employeur d’avoir été juste.

La réduction du personnel et sa conséquence logique, l’engagement personnel à faire certains petits travaux, voila donc un autre moyen pour le patronat catholique du Togo de venir à bout du problème de la mauvaise rémunération dont leurs employés sont parfois victimes.

L’état actuel de la condition des employés dans le monde catholique du travail au Togo demande que les évêques se prononcent sur la question, d’autant plus que jusqu’à présent, aucune de leurs lettres pastorales ne porte spécifiquement sur ladite question. Il faut aussi que les employeurs catholiques du Togo mettent en pratique l’enseignement social de l’Église et se montrent davantage témoins de la foi qu’ils professent. L’Église y a donc un rôle capital à jouer. Aussi, le moyen d’action de l’Église est-il l’autorité compétente que sont d’abord la Conférence des évêques et ensuite les diocèses respectifs à travers leur évêque propre. Ces derniers seront relayés par les prêtres, les religieux, les religieuses et les laïcs qui occupent des postes décisionnels dans le monde catholique du travail.

Après cet effort d’indication du rôle de chaque partie dans le processus de résolution du problème de la juste rémunération dans le monde chrétien catholique du Togo, il nous faut maintenant aborder une autre dimension de la question à savoir celle de la guerre contre l’ignorance.

III.3- Combattre l’ignorance, un défit majeur à relever

Le monde du travail est un monde complexe dont il convient de connaître les rouages. Certains actes juridiques ou protocolaires doivent être posés conformément aux lois et aux normes du travail pour établir aussi bien l’employeur que l’employé dans leurs droits et les mettre devant leurs devoirs. C’est le cas du contrat du travail, de la règle de la paie et du contenu même d’une juste rémunération. Essayons de développer ces notions.

III.3.1- Le contrat du travail[20]

 

Faire la présentation d’un contrat de travail et relever les obligations qui y sont liées, tel est l’objectif de ce titre.

III.3.1.1- Présentation d’un contrat de travail[21]

 

Un contrat de travail est une « convention par laquelle un salarié met son activité au service d’un employeur en échange d’un salaire ».[22] Selon le Code du Travail du Togo, il s’agit de :

« Un accord de volonté par lequel une personne physique, dénommée travailleur, s’engage à mettre son activité professionnelle sous la direction et l’autorité d’une autre personne physique ou morale dénommée employeur, moyennant une rémunération appelée salaire ».[23]

Le plus souvent, le contrat de travail est mis par écrit. Il entraîne des obligations réciproques pour les deux contractants : ainsi, le salarié doit effectuer le travail pour lequel il a été embauché et l'employeur doit lui fournir ce travail et lui verser le salaire correspondant au travail effectué. La subordination créée par le contrat permet de distinguer le salarié du travailleur indépendant. Certaines conventions collectives rendent obligatoire la rédaction d’un Contrat à Durée Indéterminée (CDI) et à temps plein. Au Togo, le Code du Travail affirme que le contrat peut être écrit ou non. Il précise aussi que, « dans tous les cas, la preuve de l’existence du contrat peut être rapportée par tous les moyens ».[24] Le contrat non-écrit est alors qualifié d’oral, de verbal ou de tacite.

L’employeur peut être une personne physique ou une personne morale (une paroisse, par exemple). Dans ce dernier cas, le contrat est conclu par la personne munie du pouvoir d’engager la paroisse : le curé ou l’administrateur paroissial. Du côté de l’employé, toute personne peut conclure un contrat de travail avec, cependant, quelques restrictions concernant le majeur sous tutelle, les jeunes de moins de 18 ans d’une part, et les personnes âgées ou handicapées d’autre part. Ceux-ci ne peuvent en effet conclure de contrat de travail sans l’autorisation de leur représentant légal, sauf s’ils sont émancipés, c’est-à-dire considérés comme majeurs après décision de la justice pour les uns, et s’ils jouissent pleinement de leur autonomie physique et mentale pour les autres.

Dans la rédaction d’un contrat de travail, il y a des règles qu’il faut impérativement connaître et respecter : le contrat doit être écrit dans la langue officielle du pays où travaille l’employé. Ainsi, lorsqu’il est conclu au Togo, le contrat doit être rédigé en français. Il peut toutefois comporter des termes étrangers, sans correspondance en français, s’ils sont clairement expliqués. Le salarié étranger peut demander la traduction de son contrat dans sa langue d’origine. L’employeur et le salarié sont libres de négocier le contenu du contrat de travail. Deux règles doivent néanmoins être respectées : la fidélité au code du travail et le respect de l’ordre public. S’agissant d’un contrat dont la rédaction est imposée, il contient obligatoirement les mentions prévues par le Code du travail ; toute autre clause peut être insérée à condition de ne pas être contraire à l’ordre public. Ainsi par exemple, les clauses de célibat, les clauses discriminatoires ou celles prévoyant une rémunération inférieure au SMIG sont interdites et sans effet.

Le contrat de travail peut comporter une période d’essai[25]. Cette possibilité est laissée à l’appréciation de l’employeur et du salarié.

           III.3.1.2- Les obligations liées à un contrat de travail

 

Beaucoup d’obligations découlent d’un contrat de travail aussi bien pour l’employeur que pour l’employé. Ils doivent respecter les obligations nées du contrat de travail et exécuter dûment celui-ci. Ainsi, l’employeur est tenu par exemple de respecter l’horaire établi, de verser le salaire correspondant au travail effectué et à temps, de respecter les autres éléments essentiels du contrat telles les qualifications, le lieu de travail quand il est précisé dans le contrat, le repos hebdomadaire et les congés dans le respect des lois du travail du pays. Au Togo, il faut nécessairement se conformer au Code du travail et à la Convention Collective Interprofessionnelle du Togo. Voilà donc, sur le plan juridique, ce à quoi devraient se conformer les employeurs du monde chrétien catholique du travail au Togo.

Pour sa part, le salarié doit respecter les horaires de travail, réaliser le travail demandé conformément aux instructions données, respecter les engagements mentionnés dans le contrat de travail et, lorsqu’il en existe un, le règlement intérieur, ne pas faire de concurrence déloyale à son employeur.

L’idéal, serait que dans tout embauche, l’employeur et l’employé s’entendent pour signer en bonne et due forme un contrat de travail et qu’ils le respectent impérativement. Cela évitera les heurts et garantira à chacun la quiétude dans la responsabilité qui lui incombe.

Dans le contrat de travail, il est bien fait mention de la rémunération. Quelques fois, il se passe que l’employé n’est pas bien rémunéré ou s’estime ainsi, par méconnaissance de ce que doit être une juste rémunération. Que recouvre la connaissance de la juste rémunération ?

III.3.2- La juste rémunération

 

A présent, nous allons présenter, en résumé, les caractéristiques d’une juste rémunération, décrire quelques abus à éviter de la part de l’employeur et faire la présentation d’un bulletin de paie.

III.3.2.1- Les caractéristiques d’une rémunération juste

 

Ce n’est pas parce qu’une rémunération est librement consentie par le patron et par l’ouvrier qu’elle est juste. Il y a, présidant à cette détermination, une autre loi que celle de leur libre entente, la loi du travail qui est moralement obligeante. Le Pape Léon XIII disait, par exemple que la fixation du salaire est dominée par « une loi de justice naturelle, plus élevée et plus ancienne, à savoir que le salaire ne doit pas être insuffisant à faire subsister l’ouvrier sobre et honnête ».[26] Et le pape prouve cela en montrant le but du travail et son caractère nécessaire.

Le premier caractère de la juste rémunération est donc d‘être « vitale », de suffire à faire vivre[27].

Le deuxième caractère de la juste rémunération est d’être équivalente au travail fourni comme le veut la justice dans les échanges où il faut l’égalité des prestations – justice commutative. L’ouvrier doit recevoir autant qu’il donne. Il est vrai que Le pape Léon XIII n’a pas précisé ce caractère. La raison en est qu’il ne s’était attaché qu’au point de vue de salaire vital et que par ailleurs cette règle de la justice commutative est connue de tous.

Pour qu’il y ait équivalence, la rémunération doit tenir compte de la longueur et des difficultés de la formation, des risques professionnels, de la dépense physique nécessitée par le travail, des chômages réguliers et de la morte-saison, de la valeur professionnelle du travailleur, de sa plus ou moins grande collaboration, de sa responsabilité. C’est en vertu du principe d’équivalence des prestations que le travail intellectuel doit être mieux rémunéré que le travail manuel, car il suppose de longues et coûteuses études.

III.3.2.2- Les abus à éviter

 

Au nombre des abus, il convient de mentionner le fait d’exiger un travail trop intense en marge du contrat  ou un travail trop long, de ne pas tenir compte des circonstances de temps et de lieu, de la nature du travail qui peuvent imposer un repos[28] plus grand. Le Code du travail togolais en son article 142 dispose  en ce qui concerne la durée légale du travail:

« Dans toute entreprise, même d’enseignement ou de bienfaisance, à l’exception de l’entreprise agricole, la durée du travail des employés ou ouvriers, de l’un ou l’autre sexe, de tout âge, travaillant à temps, à la tâche ou aux pièces, ne peut normalement excéder quarante (40) heures par semaine. Dans les exploitations agricoles, la durée légale du travail est fixée à deux mille quatre cents (2400) heures par an. Les heures effectuées au-delà de cette durée de travail ou de la durée considérée comme équivalente donnent lieu à une majoration de salaire ».

Le législateur fixe donc une durée de travail hebdomadaire dont la répartition sur les cinq jours de travail ouvrables donne une moyenne de huit (08) heures de travail par jour. La répartition de cette durée de travail journalière est laissée à la liberté de l’employeur. Le décompte proprement dit est réglementé par l’article 32 de la Convention collective qui dispose que : « …Conformément à la réglementation en vigueur, les heures supplémentaires seront décomptées par semaine… ».

Toutes ces conditions sus-citées prises en compte, viendra le moment de la paie. Nous allons, à présent faire la présentation d’un bulletin de paie afin de mieux appréhender ce que doit contenir ce document-témoin.

III.3.3- Présentation d’un bulletin de paie[29]

 

« Sauf dérogation autorisée par l’inspecteur du travail et des lois sociales, les employeurs seront tenus de délivrer aux travailleurs, au moment du paiement, un bulletin individuel dont la contexture sera fixée par arrêté du ministre chargé du travail, pris après avis du Conseil National du Travail. Mention sera faite par l’employeur du paiement du salaire sur le registre tenu à cette fin ».[30]

En effet, le bulletin de paie permet au salarié de vérifier l'exactitude de la somme qui lui est versée.

Il permet aussi au travailleur de se constituer une preuve émanant de l'employeur démontrant qu'il a travaillé avec une certaine qualification à une date précise. Ceci peut être utile, par exemple pour démontrer qu'il a validé des trimestres pour la retraite.

Certaines mentions doivent figurer obligatoirement dans ce document.

Il s’agit d’abord des informations concernant le salarié, tels que le nom, l’emploi occupé, la position dans la classification de la convention collective. Il y a ensuite celles concernant l'employeur comme le nom, l’adresse, le numéro d'immatriculation. Enfin, la Mutualité sociale auprès de laquelle les cotisations sont versées. L’employeur doit également faire figurer la convention collective[31] applicable.

Le bulletin de paie doit également mentionner : les éléments composant la rémunération brute, à savoir le nombre d'heures de travail, la quantité d'heures payées au taux normal et celles majorées (pour heures supplémentaires ou travail de nuit par exemple) en précisant le ou les taux appliqués, les accessoires du salaire soumis à cotisations, la nature et le volume du forfait lorsque la rémunération est déterminée sur la base d'un forfait hebdomadaire ou mensuel en heures, d'un forfait annuel en heures ou en jours, les prélèvements sociaux et fiscaux, les sommes non soumises à cotisations (remboursement de frais professionnel), le montant de la somme effectivement versée au salarié (« le net à payer »), la date du paiement.

L’employeur peut également faire figurer sur le bulletin de paie les dates des congés payés compris dans la période de paie et le montant de l'indemnité correspondante. Il doit informer le salarié de ses éventuels repos compensateurs acquis du fait des heures supplémentaires accomplies. Dès que ce droit atteint 7 heures, le document mentionne le droit à la prise du repos, et le délai dans lequel il doit être pris. Il doit mentionner la nécessité pour le salarié de conserver son bulletin de paie sans limitation de durée pour faire valoir ses droits.

En ce qui concerne la conservation du bulletin, l'employeur doit les conserver pendant un délai de 5 ans à compter de leur émission. Le salarié est soumis à l’obligation de conserver ses bulletins sans limitation de durée. L’acceptation du bulletin de paie n'empêche pas ce dernier de contester la réalité du paiement de la somme indiquée ou son exactitude.

III.4- Proposition d’une éthique de relation en vue d’une juste rémunération dans le monde chrétien catholique du travail au Togo.

De nos jours, dans toute relation humaine, l’intérêt a tendance à devenir le guide. C’est donc à juste titre que FLORIAN a pu dire : « notre intérêt est toujours la boussole que suivent nos opinions ».[32] Or, dans le monde du travail, il est clair que l’intérêt de l’employé n’est pas celui de l’employeur, ni l’intérêt du syndicat, celui du patronat. Aussi, comme Karl MARX l’a écrit : « la division du travail a fait naître l’opposition entre les hommes ».[33] Les hommes ainsi divisés ont fait naître une certaine rivalité entre eux. Et cela se répercute négativement sur les droits du travailleur, notamment sur son droit à la juste rémunération. Néanmoins, cette rivalité, même si l’on n’en a pas clairement conscience, exprime une certaine interdépendance entre tous ceux qui interviennent dans le monde du travail. Quelles relations devrait-il exister dans le monde chrétien catholique du travail au Togo en vue de la juste rémunération du travailleur ?

III.4.1 - Solidarité entre les travailleurs et leurs employeurs en vue d’une juste rémunération

 

Les employés et les employeurs sont de deux « classes » distinctes, ou du moins, ont des conditions de vie, des vues et des attitudes différentes. De plus, ils ne poursuivent pas, de prime abord, les mêmes intérêts ni les mêmes objectifs. Le plus souvent, les premiers cherchent le salaire, alors que les seconds escomptent accroître leurs rendements, c’est-à-dire les capitaux. Ceci crée naturellement une certaine dissension entre eux, si bien que les relations demeurent le plus souvent méfiantes, ou carrément tendues. Du coup, le dialogue ne trouve plus la place qui devrait être sienne. Et par conséquent, certains avantages qui relèvent normalement des droits des travailleurs ne leur sont plus reconnus. Et cela entame gravement la juste valeur de la rémunération.

Cependant, il ne devrait pas en être ainsi dans les relations interpersonnelles entre employeurs et employés. Bien plus, les deux parties devraient se faire mutuellement confiance. L’employé ou l’employeur est avant tout une personne humaine, digne de respect. L’un et l’autre méritent d’être bien traités. Dans les relations interpersonnelles, l’on doit tenir compte aussi bien des droits que des devoirs des individus. Les travailleurs ne devraient pas voir en leurs employeurs des maîtres, ni les employeurs prendre les employés pour des esclaves. Unis par le travail, il suffit que chacun joue bien sa partition, en acceptant la place qui  lui est assignée pour que tout aille bien. Mettre en avant ses intérêts personnels, chercher toujours à profiter des autres, manquer de respect à l’autre, lui refuser ce dont il a droit, telles sont des attitudes parmi tant d’autres à éviter pour que les relations demeurent bonnes, amicales et vivables pour tous. Lorsque cela sera acquis, le monde chrétien catholique du travail au Togo aura mis fin au dialogue de sourd qui s’installe de plus en plus dans les relations employeurs-employés. En même temps, naîtra un climat de confiance, d’ouverture à l’autre si bien que le travailleur aura le courage de revendiquer, sans craindre d’être vertement rabrouer, lorsqu’il se rend compte qu’il est triché. L’employeur, de son côté, luttera pour une meilleure condition de ses employés dans le respect des lois et normes du travail.

 III.4.2 - Relations entre les travailleurs et leurs syndicats en vue du respect du droit à la juste rémunération

 

Tout travailleur a normalement le droit et même le devoir d’adhérer à un syndicat[34]. Quelles peuvent être les prestations des syndicats envers leurs membres ?

Le service le plus important que les syndicats offrent à leurs membres sont les négociations collectives, qui présentent des avantages directs aux membres des syndicats, en ce qui concerne leur salaire, leurs horaires de travail et la durée, ainsi que les périodes de leurs congés et les autres avantages. Les membres du syndicat bénéficient, par ailleurs, de formations continues dans divers domaines en vue de remplir leurs obligations. Le syndicat a le devoir de décréter les grèves, lorsque le besoin est urgent et se charge des négociations avec le patronat. Par ailleurs, le syndicat offre des informations concernant les nouvelles réglementations légales et les assurances qui couvrent les accidents sur le chemin du travail ou sur le lieu de travail. Pour mieux gérer la question de la juste rémunération, il revient aux syndicats de bien jouer leur rôle qui est celui de soutenir, de défendre et de protéger les travailleurs dans leur lutte pour le respect de leurs droits.

Le monde du travail est vraiment un lieu de relations, car, que ce soit les travailleurs ou les employeurs, chaque partie a besoin de l’autre pour être efficace. Sûr de cette interdépendance et fort des bénéfices indéniables qui en ressortent, chacun devrait jouer convenablement sa partition dans le respect mutuel. Voilà une dimension de ce qu’il faut prôner, dans le monde chrétien catholique du travail au Togo, pour que le droit à la juste rémunération puisse être respecté et que les travailleurs en jouissent pleinement.

Conclusion

 

La question de la juste rémunération dans le monde chrétien catholique du travail au Togo est un fait très préoccupant. La résolution de ce problème ne saurait se faire efficacement pour une tierce personne, ni par une institution laissée à elle seule. Il faut, ensemble, conjuguer les énergies et travailler tant avec abnégation qu’assiduité. Ainsi, chacun aura sa part de responsabilité. Les employés, s’ils ont le droit de jouir d’une juste rémunération, doivent de la même façon être fidèles à leurs devoirs. Il en va de même pour les employeurs. L’Eglise, au-delà du fait qu’elle est employeur, doit avoir un regard moral sur ce qui se passe entre les différents protagonistes et exhorter dans la mesure du possible au respect de la dignité du travailleur en tant que personne humaine. En plus du rôle que chaque partie, à savoir les employés et les employeurs, doit jouer en vue de pallier le problème de la juste rémunération, la connaissance de certains actes à poser ou des documents juridiques s’avère nécessaire. C’est le cas du contrat de travail, des caractéristiques d’une juste rémunération et des normes de payement du salaire. Au demeurant, il faut reconnaître que le monde du travail, même s’il apparaît comme un lieu de concurrence et de rivalité, est aussi celui de relations par excellence. Cet autre avantage permet donc à tous ceux qui entrent en jeu de se soutenir, de travailler ensemble et de rechercher, au-delà de leur bien-être personnel et familial, un développement humain durable comme patrimoine pour les générations à venir.



[1] Nous ne comptons pas les catéchistes parmi les employés. Même si certains d’entre eux perçoivent quelque salaire à la fin du mois, il convient de mentionner que leur travail relève plus d’un esprit de consécration que d’emploi. Nous en excluons également les prestataires temporels, c’est-à-dire ceux qui sont sollicités de façon ponctuelle pour des prestations de service.

[2] - Cf. Rerum novarum. Parlant des ouvriers, en effet, le pape Léon XIII disait: « leur sort est entre leurs mains ».

[3] Ecole Normale Sociale, Commentaire pratique de l’Encyclique Rerum novarum sur la condition des ouvriers, éd. Spes, Paris, 1932.

[4] Selon le site www.wiktionary.org, cet adage signifie littéralement : "fais ce que tu fais". C’est une incitation à faire correctement ce qu’on entreprend. Pour ainsi dire, ce qui mérite d’être fait, mérite d’être bien fait.

[5] Dictionnaire le Petit Larousse illustré, éd. Larousse, Paris, 1992.

[6] République togolaise, Code du travail, op. cit., art. 87.

[7] www.journaldunet.com, dans l’article Le règlement intérieur, consulté ce 23 mars 2013 à 22h 55.

[8] Dictionnaire le Grand Robert de la langue française, op. cit.

[9] Léon XIII, RN, n°32

[10] La femme, en effet, doit jouir de certains avantages liés à la santé féminine, à la période de grossesse, d’allaitement ; elle a droit au congé de maternité.

[11] Ecole Normale Sociale, Commentaire pratique de l’Encyclique Rerum novarum sur la condition des ouvriers, op. cit., p. 105.

[12] L’Etat peut aussi donner un précieux aliment de vie et d’activité aux organisations professionnelles en leur remettant pour une certaine part le maniement et l’application de certaines lois sociales. Par exemple, la loi n° 2006-010 du 13 décembre 2006 portant Code du travail régit les relations de travail entre les travailleurs et les employeurs exerçant leurs activités professionnelles sur le territoire de la République Togolaise, ainsi qu’entre ces derniers et les apprentis placés sous leur autorité.

[13] Abbé Robert BATCHA, L’enseignement catholique pour l’éducation intégrale des élèves : cas du diocèse de Sokodé, mémoire de fin de cycle de théologie, Lomé, juin 2011, p. 76.

[14] Jean Paul II, LE, n° 18

[15] Cf. Lettre des évêques du Togo aux fils du cher pays, Lomé, 9 avril 1967.

[16] Cf. Conférence Episcopale des Evêques du Togo, Lettre des évêques du Togo aux fils du cher pays, Lomé, 9 avril 1967. Voici le contenu de cette lettre qui évoque la question de la  juste rémunération : « Certes, tout travail a droit à une juste rémunération ; et précisément ce que nous demandons, c’est que le salaire soit le fruit d’un travail effectif. Ce qui doit être payé, ce ne sont pas les heures de présence passées dans un bureau ou sur un chantier à tuer le temps, mais le travail réellement accompli. C’est un vol que de toucher le salaire d’un travail volontairement bâclé, négligé ou non accompli. Et si le travail est un service de la communauté, il va de soi que l’accueil, la compréhension, la prévenance, la générosité, la courtoisie deviennent la loi des rapports entre le travailleur et ceux au service de qui il met sa compétence. Or, n’arrive-t-il pas que certains profitent de leur situation de travail pour gruger et exploiter les autres ? Il y a là une plaie sociale grave que nous devons tous ensemble nous employer à guérir ».

[17] C’était lors des troubles sociaux qui avaient éclaté à Bergame, dans un diocèse italien. L’action sociale menée par certains catholiques et quelques prêtres fut jugée trop aventureuse par l’autorité ecclésiastique. Le Pape en prit l’occasion pour rappeler la doctrine de l’Église en matière sociale prônée par l’Encyclique Rerum Novarum. Voici le contenu de son message : « Qu’aucun membre du clergé ne s’imagine que pareille action est étrangère au ministère sacerdotal sous prétexte qu’elle conduit sur le terrain économique. Il suffit que sur ce terrain le salut des âmes soit en péril. Aussi voulons-nous que les prêtres considèrent comme un de leurs devoirs de se consacrer le plus possible à la science et aux mouvements sociaux, par l’étude, l’assistance ou l’action, et de collaborer par tous les moyens avec ceux qui, sur ce terrain, exercent une saine influence en vue du bien général. En outre, il leur appartient d’éclairer leurs ouailles avec soin sur les devoirs de la vie chrétienne, de les prémunir contre les propagandes socialistes, de les aider à améliorer leur sort, sans jamais perdre de vue l’esprit qui a dicté la prière ardente de l’Église : "Puissions-nous user, comme en passant, des biens temporels, de manière à ne point perdre les biens éternels !" ». Ce texte a été pris sur le site : www.clerus.org, Lettre à l‘Evêque de Bergame sur la question sociale, consulté ce 11 mars 2013 à 14h 32.

[18] Saint Hilaire de Poitiers, Traité sur la virginité, VIII, 1.

[19] Jean Paul II, Exhortation apostolique post-synodale Pastores Gregis, n°31.

[20] Pour le développement de ce titre, nous nous sommes inspiré du Code du Travail du Togo, de la Convention Collective Interprofessionnelle en vigueur au Togo et d’autres sources comme www.travail-emploi.gouv.fr

[21] En annexe, nous proposerons un modèle de contrat de travail.

[22] Dictionnaire Petit Larousse 2010, éd. Larousse, Paris, 2007.

[23] République togolaise, Code du travail, op. cit., art. 34

[24] République togolaise, Code du travail, op. cit., art. 38

[25] Prévoir une période d’essai permet à l’employeur comme au salarié de rompre, au cours de la période fixée, le contrat de travail sans formalité ni indemnité, mais en respectant un délai de prévenance. La période d’essai et la possibilité de son renouvellement dans les limites fixées par la loi, ne se présument pas : elles doivent être mentionnées dans le contrat de travail ou dans la lettre d’engagement.

 

[26] Léon XIII, RN, n° 55.

[27] Quelques remarques s’imposent sur la façon de comprendre cette expression : « faire vivre l’ouvrier sobre et honnête » ne veut pas dire le faire vivre strictement, juste assez pour « ne pas mourir ». La vie de cet ouvrier doit être ni le luxe, ni la misère ; il faut qu’elle soit normale quant à la nourriture, au logis, au vêtement, qu’elle comporte quelques distractions honnêtes, qu’elle permette un équilibre physique, mental et psychique.

[28] Selon l’article 156 du Code du Travail, le repos hebdomadaire est obligatoire et il doit être au moins de 24 heures consécutives par semaine. En principe il a lieu le dimanche, mais le contrat de travail peut prévoir un jour différent. Il faut en conclure : 1° Que tout travailleur a le droit d’exiger le repos dominical ; 2°Que tout contrat où cette condition du repos n’entrerait pas serait injuste et n’obligerait pas en conscience. C’est un devoir envers Dieu et nul ne peut le violer, ni le patron, ni l’ouvrier. C’est une nécessité, pour la vie physique de l’ouvrier ; pour sa vie intellectuelle ; pour sa vie de famille ; pour la vie de son âme, l’accomplissement de ses devoirs religieux. Ce jour-là ne doit pas être mal employé par la débauche, le vice, mais servir au repos du corps et à l’élévation de l’âme par l’assistance aux offices religieux. C’est avec juste raison que les travailleurs, surtout les ouvrières et les employées réclament la semaine anglaise, c’est-à-dire le repos de l’après-midi du samedi. Ce temps libre permet par exemple à la femme de vaquer à certains travaux d’intérieur dont elle est ainsi débarrassée le dimanche : la semaine anglaise est la meilleure sauvegarde du dimanche.

[29] Un modèle de bulletin de paie nous sera proposé en annexe (annexe 2)

[30] République togolaise, Code du travail, op. cit., art. 129

[31] La mention d'une convention collective sur le bulletin de paie vaut reconnaissance de l'application de la convention à l'entreprise. La mention de la convention ne génère de droits pour le salarié que pour ses seuls avantages individuels (exemple : durée de l’essai, congés payés, indemnités de rupture) et ne permet pas au salarié de bénéficier des avantages collectifs (durée, aménagement du temps de travail, amélioration des règles relatives aux institutions représentatives du personnel).

 

[32] FLORIAN, Fables III, 18, cité par le dictionnaire Le Grand Robert de la langue française.

[33] Karl MARX, Le Capital, livre I, 3ème section, op. cit.

[34] Les syndicats sont des acteurs du dialogue social entre les travailleurs et le patronat. En effet, les syndicats reconnus comme représentatifs dans leur secteur d’activité peuvent signer avec l’État ou le patronat des conventions collectives qui règlent les conditions de travail pour l’ensemble des salariés comme c’est le cas de la Convention Collective Interprofessionnelle du Togo.

 



20/06/2013
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